Depuis des millénaires, les baleines à bosse entretiennent des liens durables avec les humains vivant près des côtes. Partout dans le monde, elles cherchent à se rapprocher des hommes, à partager des moments, à nager ensemble, à échanger leurs chants, sauf dans les Caraïbes…
Comment expliquer ce phénomène ?
Pour comprendre, il faut replacer les relations entre les baleines et les peuples premiers dans un contexte millénaire. Lorsque les Européens ont exploré le Nord au Xe siècle, ils ont été fascinés par les liens entre les autochtones et les baleines. La littérature médiévale décrivait l’Arctique comme une terre peuplée de « poissons monstrueux » et de gens capables de les invoquer par magie.
Même les récits des explorateurs et missionnaires, décrivant la chasse et le partage de la baleine, étaient teintés de mysticisme. En 1938, l’anthropologue Margaret Lantis a parlé d’un « culte circumpolaire des baleines » chez les Iñupiat, les Inuits et d’autres peuples du Nord, prouvant ce lien à travers tabous et rituels. Une baleine tuée recevait souvent de l’eau douce, un repas, voire des sacs de voyage pour assurer son retour spirituel. Chaque baleinier avait des chants pour les attirer, et les chamans tenaient des cérémonies religieuses dans des cercles d’os de baleine. Les amulettes, transmises de père en fils, renforçaient cette relation mystérieuse, incompréhensible pour les observateurs non autochtones, en particulier pour les scientifiques, réfractaires à tout ce qui semblait anthropomorphique.
Le mysticisme des peuples du Nord et leur lien sacré avec les baleines
Le long de certaines côtes de l’Alaska, les roches sont recouvertes de pétroglyphes d’hommes et de baleines.
Ils étaient sculptés par des chamans baleiniers dans le cadre de rituels qui leur permettaient d’acquérir les secrets de la mer et d’offrir des remerciements pour sa générosité.
En archéologie, de telles attitudes ont limité notre compréhension de la préhistoire arctique, explique Erica Hill, zooarchéologue à l’Université d’Alaska Southeast. Les amulettes de baleiniers et les cercles d’os ont été considérés comme rituels ou surnaturels, sans que l’on sache vraiment ce qu’ils signifiaient pour les gens qui les ont créés. Au lieu de cela, les archéologues qui ont étudié les artefacts animaux se sont souvent concentrés sur les informations tangibles qu’ils ont révélées sur ce que mangeaient les peuples anciens, combien de calories ils consommaient et comment ils survivaient.
Hill fait partie d’une branche en plein essor de l’archéologie qui utilise des récits ethnographiques et des histoires orales pour réexaminer les artefacts animaux avec un regard neuf et interpréter le passé d’une manière nouvelle et non occidentale. « Cela m’intéresse en tant que partie de notre préhistoire en tant qu’humains, dit Hill, mais aussi dans ce qu’il nous dit sur les autres façons d’être.
L’idée que les peuples autochtones ont des relations spirituelles avec les animaux est si bien établie dans la culture populaire que c’est un cliché. Pourtant, limités par la science et la culture occidentales, peu d’archéologues ont examiné les archives de l’histoire humaine dans la perspective que les animaux ressentent des émotions et peuvent exprimer ces émotions aux humains.
Ainsi les Tinglits du Nord Ouest Américain, les Aborigènes du Sud Est Australien, les Maoris de Kaikoura, le peuple Mayumba en Afrique de l’Ouest, les Hawaiiens, les Polynésiens et tant d’autres ont pu en plusieurs milliers d’années tisser des liens puissants, basés sur le respect et souvent l’échange avec ces baleines.
L’échange
Le chant des baleines se retrouve dans les chants chamaniques des peuples qui les écoutent depuis des milliers d’années, mais aussi, on peut retrouver des mélodies humaines dans le chant des baleines…
(voir La recherche de la musique disparue des Kalinagos )
Le respect
Ces baleines sont considérées par les peuples premiers, soit comme des membres de la famille, les Tinglits notamment les considèrent ainsi et le fait chez eux de manger leur chair est assimilé au cannibalisme, soit comme des divinités, les Hawaiiens les nomment « Koholas » les déesses de la mer, qui sont entourées d’une immense sphère de Mana, l’énergie pure, gardienne de la spiritualité.
Le lien perdu des Caraibes
Dans les Caraibes, les peuples pré colombiens ont certainement eu ces mêmes liens avec les baleines à bosse, ces baleines considéraient ces peuples comme leur famille, jusqu’en 1492…
1492, l’arrivée des Européens a sonné le glas de ces civilisations, Kalinagos, Caraibes, Taïnos, Arrawaks, ces peuples furent progressivement exterminés ou assimilés, leur culture et leur spiritualité anéanties. Les baleines ont alors subi ce génocide de leur « famille » comme un traumatisme. Dés lors s’est installé chez elle une défiance légitime vis à vis des « nouveaux » humains qui peuplent désormais les Caraïbes.
Pierre Lavagne de Castellan
Peinture rupestre Taino ( République Dominicaine il y a 4000 ans ) représentant une baleine à bosse.
La position de cette baleine ne peut être observée de la surface, cette position, cambrée, pectorales au repos, est caractéristique d’une baleine en socialisation, la personne qui a peint cette baleine il y a peut être 4000 ans avait l’habitude de la côtoyer, sous l’eau…
Notre mission est de renouer ce lien
L’interaction musicale avec les baleines à bosse des Caraïbes, est la clé pour renouer le dialogue avec ces animaux… recréer le lien.
Les trois axes de travail :
- L’équipe du Shelltone Whale Project communique quotidiennement avec les baleines à bosse de Guadeloupe grâce au Shelltone, établissant peu à peu un dialogue musical. Cette musique permet de créer une relation intime et de renouer des liens avec ces cétacés.
- Nous préparons la formation d’un orchestre de jeunes musiciens qui apprendront la musique des baleines pour ensuite les emmener en mer jouer avec elles.
- Nous allons partir à la rencontre des musiciens et scientifiques des autres îles des Caraibes où vivent les baleines à bosse, afin d’initier des échanges pluridisciplinaires.
L’apprentissage de la musique des baleines à l’école de musique et danse de Petit Bourg :
- L’école de musique de Petit Bourg, propose cette année à ses élèves, de suivre en collaboration avec le Shelltone Whale Project des sessions de chant et musique des baleines.
- Chaque élève de cette « formation » joue de l’instrument qu’il travaille habituellement, Pierre Lavagne de Castellan apprends aux élèves les mélodies des baleines.
- Les élèves doivent composer leur propre morceau inspiré du chant des baleines.
L’idée est qu’à terme, les jeunes musiciens pourront jouer avec les baleines à bosse, sur un catamaran spécialement conçu pour la communication inter-espèce, en utilisant la musique comme vecteur de communication, nous avons l’espoir de renouer le lien entre les hommes et les baleines en Guadeloupe puis dans l’ensemble des Caraïbes.
La Guadeloupe est ainsi en passe de devenir la première île au monde où les enfants jouent de la musique avec les baleines qui peuplent ses eaux, la communication inter espèce élevée en art… Un partage et reconnaissance mutuelle qui a vocation à se pérenniser de générations en générations…
La recherche de la musique disparue des Kalinagos…
On sait que les baleines à bosse s’inspirent depuis des milliers d’années de la musique des hommes qui vivent sur les cotes des zones qu’elles fréquentent. Elles ont donc construit leur répertoire musical en collaboration avec ces hommes. Elles utilisent ensuite ce répertoire pour transmettre de génération en génération les chants protéodiques, qu’elles utilisent pour les fonctions que nous développons ici. Cependant, dans les Caraïbes, les populations pré colombiennes, Taïnos, Arrawacs, Carïbes, Kalinagos… ont pratiquement été toutes décimées. Seul en Dominique subsistent des descendants de cette population. Le traumatisme de l’envahissement de leur territoire, le génocide qu’ils ont subit et la colonisation qu’ils ont vécu par la suite, leur a fait perdre la majeure partie de leur culture, dont leur musique.
Cependant, les baleines à bosse, elles, ont conservé cette musique qu’elles se transmettent, jouent et utilisent toujours pour véhiculer les chants protéodiques de générations en générations.
Un des buts du Shelltone Whale Project est de retrouver dans le chant des baleine des caraïbes, cette musique et la remettre au peuple Kalinago subsistant en Dominique.